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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/435

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sanglante. Il fut défendu d’assaillir les parens ou les vassaux de celui contre lequel on voulait guerroyer, si ce n’est après un délai de quarante jours à partir du jour du défi : c’est la quarantaine, confirmée depuis par saint Louis. La quarantaine était une trêve de droit, qui se recommandait d’ailleurs par une foule d’excellentes raisons d’humanité, de loyauté, de justice, que les cœurs moins orageux commençaient à mieux comprendre. Beaucoup d’adoucissemens et de relâchemens qu’ils ne prévoyaient point en devaient être la suite : il y avait place pour les réflexions, pour les repentirs ; les attaques, moins soudaines, étaient moins ruineuses. Enfin, pour ne pas suivre plus loin cette succession de progrès qui s’engendrent les uns les autres, l’assûrément établi par saint Louis fut, quant au droit, le dernier coup porté aux guerres privées : dès que le plus faible ou le plus sage n’avait plus qu’à réclamer l’assûrément soit de son adversaire, soit de son suzerain, pour que la cause fût portée devant un tribunal, le droit de guerre n’existait plus. Dans le fait, il n’en était point de même ; il fallut encore deux siècles pour cicatriser cette plaie invétérée. Quand l’histoire est faite, l’esprit mesure d’un coup d’œil de longues séries de siècles et de transformations, et comme tout s’y tient par les lois de la pensée, le temps semble aboli, et l’on croirait que peu d’années auraient dû suffire pour que des causes si constantes enfantassent logiquement leur effet. Par malheur, la foule des hommes, endurcie dans ce qu’elle a une fois pensé et voulu, rampe péniblement et presque toujours aveuglément de ce qui est bien à ce qui sera meilleur ; notre race fatiguée ne fait un pas que d’une génération à l’autre, et c’est pour cela que nous trouvons si souvent des siècles là où nous voudrions ne compter que des jours.

Cependant, à l’époque même où la royauté travaille ainsi directement dans ses domaines, et par influence dans ceux des grands vassaux, à rétablir l’ordre, l’agitation populaire et religieuse ne s’arrête point dans les provinces éloignées. Tout se rattache encore à la trêve de Dieu comme à un drapeau, comme à un souvenir consacré. Et pourtant les prétentions vont plus haut : on ne parle plus de tels jours de la semaine, mais d’une trêve indéfinie et ininterrompue ; la trêve signifie désormais la paix. Une foule d’associations nouvelles se liaient et se déliaient dans cette situation meilleure. L’ordre religieux et l’ordre civil se mêlaient encore partout, mais les procédés mondains prévalaient. Rhodez en offre un des plus curieux exemples. On y fonda, vers 1155, une société d’assurances mutuelles contre la guerre. Tous les fidèles du diocèse, marchands, prêtres, ouvriers, propriétaires, pour se garantir réciproquement la paix, souscrivirent pour des sommes proportionnées à leur fortune. Ces sommes, déposées